Faut-il franchir le pont du Décret de psychothérapeute ? par Martine Vial-Durand

(actualisé le )

Du refus absolu d’y souscrire[1] à l’exigence du titre pour tous sans formation, la variété des positionnements reflète assez bien la confusion qui s’est emparée des psychologues à mesure que se rapproche la date butoir de constitution du dossier pour l’obtention du titre de psychothérapeute.

Quelle position tenir ? Faut-il franchir le pas, "demander ou pas", un titre que personne ne dit vouloir dans les termes proposés, ou plus simplement cesser de se sentir concerné par ce qui appara ît comme une imposture provocatrice ?

Pour l’heure, litanie des risques encourus, hésitations, atermoiements et petits arrangements avec soi-même dessinent cette curieuse posture où chacun semble s’accorder sur le mauvais tour joué par l’Etat aux psychologues-cliniciens tout en effectuant des choix radicalement différents.

Au milieu de cet égarement constitué de légitimes questions directement liées à la précarité sociale de la profession et aux attaques récentes dont elle est l’objet, arrêtons- nous un peu !

Pomme de discorde

Certains malicieux pourraient dans ce discord apercevoir le signe d’un encombrant symptôme et via le politique, pourquoi pas, quelque malencontreux retour du refoulé.

Le signifiant psychothérapeute n’a-t-il pas mené sa vie en eaux trouble ? Et depuis les propos sans appel du Dr Lacan à ce sujet, n’a-t-il pas été l’occasion de multiples débats, désaccords voir d’irréconciliables positions au sein de la nébuleuse analytique ?

Que voulait donc dire ce titre dont certains s’emparaient ? Et que faisaient ces gens qui, ancrés dans l’empirisme et le positivisme, semblaient assaisonner Freud à leur façon, prodiguer conseils et faire profession de suggestion ?

Certains s’en souviennent, ce ne fut pas sans arrogance parfois que la psychanalyse savait à juste titre ce qu’elle n’était pas - à savoir une psychothérapie. Ses effets thérapeutiques relevaient d’une distinction sans appel quand à la méthode.

Ce fut longtemps une ligne de fracture infranchissable pour tous ceux que concernait une certaine orientation analytique, mais les frontières sont faites pour être traversées, ce qui, bien sûr, implique de sérieuses conséquences[2].

On conna ît la suite, depuis l’avènement de la loi de santé mentale de 2004 et son fameux article 52, fi de l’embarras ! Les cartes se sont brouillées brisant le cristal pour paraphraser Freud, selon ses directions de clivage.

Pour l’heure il faut se souvenir que la zone de turbulence ravivée aujourd’hui a toujours traversé et concerné la profession de psychologue dont la diversité des pratiques, des domaines d’intervention et des références théoriques n’est plus à souligner,

C’est au creux de cette possibilité de pluralité de lectures et par conséquent de cette liberté d’inventer son acte professionnel au fil de l’expérience, sans qu’un titre ne vienne d’emblée le refermer, que s’est nichée la vitalité de l’approche d’orientation analytique dans les institutions dont certains psychologues ont choisi de se faire les obligés fécondant ainsi une richesse de regards croisée au médical.

Sous couvert de barrer la route à de soi-disant charlatans, le politique de ces années noires met la main sur cette pomme de discorde afin de servir son rêve d’une écoute sous garantie, veau d’or de l’idéal de surveillance et du soupçon, en poursuivant son inlassable tropisme pour l’homogénéisation des pratiques.

Tentation de la pomme.

On peut bien sûr ne pas voir ou ne pas accorder d’importance à ce coup porté à « l’impossible de l’acte » qui a fait de Freud le génie que l’on sait, ou bien encore penser que de l’intérieur il sera possible de subvertir le système.

Pourtant, que notre profession n’ait été ni collée ni identifiée à ce titre de psychothérapeute mérite d’être souligné. Il en allait non seulement d’une certaine idée de la liberté démocratique mais surtout de la possibilité de son nouage à l’héritage Freudien. L’histoire fait foi de cet inséparable.

Le choix de ses outils de travail fermement rappelé dans le décret de 1991, ainsi que l’obligation qui lui est faite de soumettre la tentation de la certitude à l’épreuve de la recherche constitue véritablement une ode aux complexités de la vie psychique et au respect qui lui est du.

C’est pourquoi la défense de la fonction FIR relève de la fidélité à cette noblesse d’approche qu’en d’autres temps nos collègues ont défendue.

Les psychologues cliniciens ont vocation thérapeutique depuis toujours.

De la formation d’excellence qui est la leur ils ne sont jamais sortis en fin d’étude déguisés en psychothérapeute, par contre ils savaient l’humilité du long trajet qui les attendait pour faire acte. Ce positionnement de prudence inquiète a longtemps fait mÅ“urs et culture.

Du politique, nous connaissons la malencontreuse et néanmoins très actuelle propension à se mêler de la vie intime des sujets renvoyant en cela à ce que Foucault, visionnaire en son temps, nommait « biopolitique ».

En toute logique, gérer les populations implique de leur garantir sécurité, paix et bien-être, au fond pas moins qu’une Sainte Trinité fictive en compensation des dégâts d’un capitalisme par ailleurs échevelé.

Il para ît judicieux de ne pas perdre de vue que c’est en droite ligne de cette volonté d’assurance tout-risque que se tient le bricolage qui nous occupe et en aveugle plus d’un.

Les soi-disant charlatans visés par ce décret peuvent dormir tranquille. Qu’ils sortent de leur contrôle de psychopathologie avec une bonne note ne choquera personne, ils sont dorénavant garantis à la « six quatre deux » par un savoir d’Etat.

S’ouvre ainsi, n’en doutons pas, l’ère de nouveaux procès suspendus au moindre transfert négatif ; les assurances privées se tiennent prêtes.

La question qui se pose à nous est celle-ci : donnerons-nous consistance ou non, objectiverons-nous ou non une loi qui par ignorance ou par bêtise mène à forclore l’énigme du sujet ?

Cette énigme les psychologues-cliniciens ont tenté de la servir et de la défendre contre toutes les tentations scientistes en payant de leur personne et de leurs deniers. L’analyse, les contrôles, cartels, colloques sont là pour en témoigner qui ont fait les beaux jours des psychanalystes.

Le bricolage dont il est question fait certes briller quelques yeux, il sème à coup sûr la division et attise la peur qui comme chacun sait est mauvaise conseillère.

Mais il n’est rien d’autre que le prolongement naturel du démantèlement programmé par la loi HPST sous la forme dite des "nouvelles répartition des tâches, des champs de compétences et des responsabilités" ; sorte de hochet plastifié qui veut masquer sous couvert de démocratisation, une paupérisation des compétences professionnelles chez les acteurs de la santé ; peut-être n’y avez-vous pas prêté attention, mais tout le monde peut tout faire aujourd’hui à moindre coût…sauf de manager bien entendu.

Les psychologues sont une profession jugée fort gênante pour la mise en place du dispositif en cours d’installation. Accusée d’être "colonisée" par les sciences humaines (sous entendu la psychanalyse) elle se prête difficilement aux protocoles, au joujou des bonnes pratiques et aux cotations abusives. Par quel bout l’attraper si ce n’est en y semant le poison de la division.

Il en ira d’une certaine pensée du courage que de maintenir vivante l’exigence éthique inscrite au cÅ“ur de la profession et de se détourner dignement d’un titre dont aucun psychologue n’a besoin pour faire Å“uvre.

A franchir certains ponts, il se pourrait que, suivant en cela le « Nosfératu » de Murnau, les ombres viennent à notre rencontre.

[1] J.P Aubel, Manifeste des psychologues hospitaliers, http://www.manifeste.apinc.org/fph/

2 Psychanalyse : vers une mise en ordre ? Ouvrage coordonné par Franck Chaumon, Ed. La dispute, 2006.

Manifeste pour la psychanalyse, Sophie Aouillé et alii, Ed La fabrique, 2010.